ENSEMBLE Nr. / N° 70 - Juli / Juillet 2023

23 ENSEMBLE 2023/70 —– Fokus Abduxukur Abdrixit oriental»), cette soirée avait été organisée conjointement par ACAT-Suisse, la «Société pour les peuples menacés» (SPM), «Justice for Uyghurs», l’«Uyghur Academy Europe» et les Eglises réformées Berne-Jura-Soleure. Elle a donné au public un aperçu de la culture ouïghoure, mais aussi du contexte politique auquel celle-ci est confrontée. En effet, depuis l’occupation de 1949, le peuple ouïghour subit la répression du gouvernement chinois. Cela dans le but manifeste de faire disparaître la minorité musulmane, les médias parlant même déjà de «génocide culturel». Contrôle des naissances «L’objectif est de provoquer un changement démographique par le contrôle des naissances et la stérilisation», a expliqué lors de cette soirée Abduxukur Abdrixit. L’intervenant vit depuis environ 20 ans en Suisse avec sa femme Gulnar Mamtimin. Tous deux ont personnellement fait l’expérience de l’oppression. Pourtant ils ne semblent pas vouloir accuser ni juger. «Nous avons un problème avec la politique du parti communiste, pas avec le peuple chinois», a précisé Abduxukur Abdrixit au début de son exposé. Titulaire d’un doctorat en physique, il choisissait soigneusement ses mots, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il est parvenu à captiver le public. Il a également souligné qu’il parlait ici à titre privé et non sur mandat d’un tiers. Selon les données officielles de la Chine, 11,3 millions d’Ouïghours turcophones vivent en Asie centrale. Abduxukur Abdrixit tient toutefois pour plus réalistes les estimations de scientifiques ouïghours, qui évaluent leur nombre à plus de 20 millions. Ils vivent dans le Turkestan oriental, région située à l’ouest de la Chine, entre le Kirghizistan, le Tibet et la Mongolie. La Chine considérait les Ouïghours comme des «pan-turques», des «pan-islamistes», des «nationalistes locaux», des «séparatistes» et enfin des «extrémistes religieux». La terminologie est éloquente et ne correspond pas du tout aux deux témoins présents dans la salle. En 2014, le gouvernement chinois a imaginé le plan directeur d’une «solution définitive au problème ouïghour». Depuis lors, des membres de ce peuple sont arbitrairement emprisonnés et envoyés dans des camps dits «de rééducation». «On estime que trois à cinq millions de personnes sont aujourd’hui emprisonnées dans de tels camps», relève Abduxukur Abdrixit. Beaucoup d’Ouïghours qui vivent en Suisse auraient ainsi perdu le contact avec des proches sans savoir exactement ce qui leur est arrivé. La sphère privée de particuliers est systématiquement surveillée, et des personnes sont gardées en otages pour pouvoir faire pression sur les membres de la famille en exil. Sanctions exigées Sa femme Gulnar Mamtimin a décrit ce que cela signifie sur le plan personnel: «En 2001, j’ai connu un jeune de vingt ans auquel on a prélevé les organes internes six mois après son arrestation illégale, et dont le corps a été rendu à sa famille. Il a été immédiatement enterré sous une surveillance policière massive.» Elle évoque des femmes dont la grossesse a été interrompue de force, mais aussi son propre avortement, subi par crainte d’une sanction. Car la politique du parti communiste recouvre également le contrôle des naissances ou la séparation des enfants ouïghours de leurs parents. Tout cela au service d’un plan perfide visant à réduire la population ouïghoure et à étendre sa propre culture dans la région. «Je ne saurais dire combien d’histoires douloureuses je pourrais vous raconter», déclare Gulnar Mamtimin. «Pendant de nombreuses années, je me suis tue et n’ai pas fait de politique. La réalité m’a obligée à parler.» Christoph Wiedmer, co-directeur de la «Société pour les peuples menacés», a confirmé que l’Etat policier était «brutalement perfectionné». Il a montré les efforts entrepris au niveau politique, y compris en Suisse, pour amener les dirigeants chinois à changer leur position. Différentes interventions parlementaires ont ainsi été déposées, mais le conseiller fédéral Cassis lui donne l’impression d’être «frileux et découragé». Les revendications de son organisation sont d’autant plus courageuses. La SPM demande par exemple une reconnaissance parlementaire du génocide ainsi que des sanctions contre des particuliers et des entreprises impliqués dans la répression des Ouïghours. Et il est convaincu qu’«aucune dictature ne dure éternellement». © Adrian Hauser

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