ENSEMBLE Nr. / N° 57 - April / Avril 2021

17 ENSEMBLE 2021 /57 —– Doss i er Finalement, vous aviez été les deux élues au pre- mier tour. Comment avez-vous vécu vos premières années de ministère? Nous avons plus d’une fois été critiquées à cause de notre allure vestimentaire, par exemple d’un chemisier rouge. En plus, j’avais les cheveux courts et de grandes boucles d’oreilles, ce qui en irritait certains. Mais la majorité nous suivait, ad­ hérait à nos idées et à l’usage d’un langage fémi­ niste pendant les cultes. Les groupes de théologie féministe étaient très appréciés et répondaient à un besoin des femmes. Comment cela se passait-il pour les actes ecclé- siastiques? La plupart du temps, sans problème. Certes, certains ravalaient leur salive, mais ils ne disaient rien. Je me rappelle un enterrement où on m’a accueillie en me lançant: vous pouvez, en tant que femme? Il n’y avait là aucune méchanceté, seule­ ment quelqu’un qui ne s’attendait pas à voir arri­ ver une jeune pasteure. Au début, certaines fa­ milles endeuillées souhaitaient voir un pasteur, mais quand elles nous connaissaient, c’était par­ fois l’inverse. Il faut dire que notre équipe pasto­ rale n’a jamais donné prise. Et vous, Sophie Kauz? Quand j’étais pasteure stagiaire il y a dix ans, j’avais toujours le droit aux mêmes phrases pen­ dant les entretiens: une femme, et si jeune en plus! Vous voulez vraiment travailler à 100%? Avez-vous des projets de mariage et d’enfants? Après, j’ai commencé un doctorat à l’Université en me disant qu’au moins j’allais prendre des années. Au bout de cinq ans, j’ai postulé à Zollikofen et on ne m’a parlé que du poste et du cahier des charges. Au début de mon ministère, on a aussi critiqué mon apparence, mes cheveux longs souvent pas atta­ chés, ou mes talons qui résonnent dans le temple. Le fait qu’il y ait trois pasteures dans la paroisse depuis novembre 2019 a aussi provoqué des re­ mous. Mais à qui donc s’adresser en l’absence de pasteur? Mais quand nous demandions à notre tour quels étaient les sujets que l’on ne pouvait aborder qu’avec un pasteur, on nous répondait: aucun, c’est juste que nous ne sommes pas habi­ tués. F Dialogue avec Anita Masshardt, pasteure fraîchement retraitée de la paroisse de Saint-Paul, et avec Sophie Kauz, pasteure de la paroisse de Zollikofen et vice-présidente du Synode. Par Susanne Schneeberger* et Olivier Schmid Quand vous êtes-vous sentie discriminée pour la dernière fois à cause de votre genre? Anita Masshardt: Heureusement que cela re­ monte. C’était à l’époque où la voix des hommes était prépondérante au Conseil de paroisse: parce que nous étions des femmes, on nous écoutait moins et on nous prenait moins au sérieux, ce qui suscitait colère et sentiment d’impuissance. Sophie Kauz: Quand je me suis mariée, en 2018, mon mari et moi avons voulu conserver notre nom de famille. Alors que l’officière d’état civil n’a de­ mandé qu’une seule fois à mon conjoint si cela lui convenait, avec moi, elle est revenue à la charge en insistant pour savoir si, vraiment, j’avais bien compris que nous ne porterions pas le même nom. Comme si j’avais moins soupesé ma décision que lui… Anita Masshardt, en 1990, vous étiez l’une des pre- mières pasteures de Suisse à partager un poste avec une collègue. Parlez-nous de cette expérience. Mon mari et moi avions un fils de deux ans et nous voulions tous les deux travailler à 50%. Avec une collègue, nous avons donc postulé ensemble pour un temps plein à la paroisse de Saint-Paul. Comme ce cas ne s’était encore jamais présenté, la paroisse a d’abord dû donner son accord. Le jour de l’assemblée de paroisse, des voix très critiques se sont élevées: pouvions-nous garantir qu’en cas d’urgence nous serions atteignables 24 heures sur 24? Le pastorat ajouté aux enfants, n’était-ce pas une surcharge? Nos maris ont aussi dû se justifier, dire s’ils trouvaient bien que leurs épouses tra­ vaillent, s’ils les en sentaient capables. Je n’ai réalisé que bien plus tard à quel point ces attitudes étaient réductrices et blessantes. * Théologienne et chargée de la coopération au développe­ ment auprès des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure «Je me rappelle quand on m’a accueillie en me lançant: vous pouvez, en tant que femme?» Anita Masshardt «Je n’ai jamais été confrontée à l’impossibilité d’agir au seul motif que je suis une femme.» Sophie Kauz

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