ENSEMBLE Nr. / N° 55 - Januar / Janvier 2021

9 ENSEMBLE 2021/55 —– Dossier de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’en­ trer dans le Royaume de Dieu» (Mt 19,24). L’épître de Jacques est tout aussi forte: «Alors, vous les riches, pleurez à grand bruit sur les malheurs qui vous attendent» (Jc 5,1). De même, la 1 re épître à Timothée fournit un résumé de ces déclarations: «La racine de tous les maux, en effet, c’est l’amour de l’argent» (1 Tm 6,10). Dieu ne veut pas qu’il y ait des pauvres Ce n’est pas que la Bible soit opposée à la richesse. Les auteurs bibliques ne mènent pas de «débats d’envie sociale» («Neiddebatte»). Des figures comme Abraham ou Job sont présentées positive­ ment comme des hommes fortunés. Si les biens matériels sont problématiques, c’est parce qu’ils peuvent asservir les humains par leur pouvoir de séduction. Et surtout, parce qu’ils détruisent la communauté, parce que la soif de richesse cor­ rompt la vie en commun. Ainsi, la Bible ne formule pas seulement une critique envers les richesses injustes et l’avidité, mais lui oppose aussi des pro­ jets positifs. Dans l’Ancien Testament, il s’agit de l’idée d’un peuple de Dieu où personne ne s’enrichit au détriment de son prochain. Dans le Nouveau Testament, les Actes des Apôtres évoquent la vie des jeunes communautés chré­ tiennes: «Nul parmi eux n’était indigent: en effet, ceux qui se trouvaient possesseurs de terrains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des biens qu’ils avaient cédés et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins» (Ac 4,34-35). Il ne s’agit pas ici d’un compte rendu, mais d’une vision: la vision d’une communauté d’êtres humains qui ont dé­ couvert combien Dieu s’est montré et se montre généreux envers nous tous et qui veulent repro­ duire un peu de cela dans leur vie commune. Ré­ sumé simplement: Dieu ne veut pas qu’il y ait des pauvres, et la pauvreté ne doit pas exister dans les communautés chrétiennes. Là où cette vision de­ vient réalité, l’argent et l’esprit cessent d’être en contradiction. A qui appartient l’argent? Au vu de ce témoignage biblique clair, il n’est pas étonnant que l’Eglise se soit régulièrement inter­ rogée sur l’attitude qu’elle-même en tant que com­ munauté et que les chrétien-ne-s doivent adopter face à l’argent. Au IV e siècle, quand beaucoup de personnes riches ont rejoint l’Eglise et que celle-ci a vu ainsi des biens considérables affluer, le Père de l’Eglise Augustin a énoncé ce principe: l’argent de l’Eglise est «le bien des pauvres, que l’Eglise se contente d’administrer». Les réformateurs se sont beaucoup intéressés à la question de la propriété. Selon eux, les biens matériels doivent être consi­ dérés d’après leur fonction pour la communauté. L’usage de l’argent doit suivre les critères de la justice et de l’amour. La propriété n’est qu’un bien prêté par Dieu et son propriétaire n’en est que l’administrateur. A ce titre, l’être humain est rede­ vable envers Dieu de la façon dont il gère son fief. Selon les réformateurs, la propriété privée est aussi soumise, comme l’argent de l’Eglise, à cette obligation sociale au service du prochain et en particulier des plus pauvres. Cette conception de la propriété et de la richesse résume ce que nous lisons dans l’Ancien et le Nouveau Testament au sujet de «Mammon» – de l’emprise de l’argent sur l’âme des personnes, du risque que la propriété détruise la communauté. En même temps, la conception réformée de la propriété est une clé pour savoir comment les chrétien-ne-s devraient agir dans un monde où l’argent non seulement existe, mais joue aussi un rôle prépondérant. L’argent gouverne le monde – ce n’est pas une po­ lémique, mais un constat. Chacun-e de nous est donc menacé d’être gouverné par l’argent. La propriété est au service de notre prochain dans le besoin, nous avons ici une responsabilité envers Dieu. Ce principe n’est pas seulement va­ lable du point de vue de l’éthique chrétienne in­ dividuelle. L’Eglise aussi doit le faire valoir envers la société. En agissant ainsi, elle ne dépasse pas des limites, mais ne fait qu’accomplir sa mission: combattre «toute injustice et lutter contre la mi­ sère matérielle et morale dans ses causes et ses manifestations» (Constitution de l’Eglise nationale réf. év. du canton de Berne, art. 2, al. 4). Les ques­ tions relatives à une répartition équitable, que ce soit entre pays du Nord et pays du Sud, ou dans son propre pays entre revenus les plus bas et les plus élevés, concernent aussi l’Eglise. Tout comme l’Eglise est concernée par la problématique d’une société où le sens de la vie menace de se perdre dans une consommation de plus en plus futile. Sans parler de l’exploitation effrénée des res­ sources de la terre par une économie concentrée sur le profit. Comme il en va de la souffrance et du bien des humains et de la Création non hu­ maine, l’Eglise, à l’instar de la Bible, doit aussi se préoccuper de questions d’économie, de proprié­ té et d’argent. La règle voulant qu’«on ne parle pas d’argent» ne vaut pas pour l’Eglise. «La Bible ne formule pas seulement une critique envers l’avidité, mais lui oppose aussi des projets positifs.»

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